Portraits de centenaires

Portraits de centenaires

Portraits de centenaires

Ils ont leur histoire tatouée sur les veines de leurs mains et des nostalgies aux coins des lèvres. La vieillesse est là mais dans leurs yeux, la vie s’illumine toujours de mille et un éclats. Ils posent un regard tranquille, parfois amusé mais jamais désabusé, sur le monde. Ils n’ont plus l’impatience de la jeunesse, eux qui ont vécu les grands bouleversements du 20ème siècle, traversé les guerres, regardé grandir puis vieillir leurs enfants… Ils se nourrissent toujours du présent en plaçant désormais leurs espoirs sur les autres, sur nous tous, encore dans le mouvement. Toute la force des images d’Henrike Stahl est de nous permettre de flirter avec l’éternité et de nous nourrir de cette douce humanité. Pour ne garder du temps qui passe que l’essentiel.

 

Tout au long de l’année, nous dévoilerons les portraits de ces centenaires étonnants. Commençons par Antoinette:

 

Antoinette, une centenaire espiègle

 

Sur les hauteurs de Cranves-Sales, près d’Annemasse, le vieux café-restaurant Hendgen ressemble à une toile de Matisse. Alignés devant la maison, des pots de toutes sortes accueillent des plantes et des boutures qui n’attendent que le printemps. Dans le petit jardinet, la reine des lieux donne à manger à ses poules et à ses pigeons. « Piou piou piou…qui va s’occuper de vous quand je ne serai plus là ? Dans cette maison  il y a 3 poules, les deux poulettes et moi. » A 101 ans, celle que tout le monde surnomme Nénette n’a pas perdu son sens de l’humour. Sans doute le résultat d’une activité qui ne s’est jamais vraiment arrêtée. Sur la grande table de la cuisine, un plateau, quelques verres et une bouteille de vin blanc accueillent tous les matins les amis du village.

« Ils passent vers midi, boivent un coup et mettent une petite pièce dans la boîte en fer. Ca permet d’avoir les nouvelles fraîches. » Cette table, si elle pouvait parler, raconterait l’histoire de la pension ou comment les parents d’Antoinette ont accueilli des réfugiés qui fuyaient la Lorraine en guerre. La jeune fille d’alors s’en souvient. D’autant qu’elle s’est mariée avec l’un d’entre eux. C’est sans doute de là que sont nées cette générosité et cette bonne humeur qu’Antoinette offre sans compter à ceux qui croisent son chemin. « Pleurer tout le temps, ca n’avance à rien. Couchée très tôt à 20 heures et levée vers 8 heures ou 9 heures, j’ai bien assez d’énergie pour faire tout ce que j’ai envie de faire. Et si je tombe, je me relève.» Antoinette est bavarde et la matinée file à toute vitesse dans cette maison où les visiteurs de la vieille dame espiègle viennent, comme des enfants, puiser une pincée d’éternelle jeunesse.

 

 

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Félicien, Une vie romanesque

 

Dans le chalet de bois du Grand-Bornand, des photos en noir et blanc racontent une histoire de montagne. Une histoire où la neige et le ski semblent inscrits dans l’ADN des lieux. Félicien a conservé son allure sportive malgré les ans. L’homme n’a rien oublié de ses passions. Le ski bien sûr, mais aussi le vélo, la photographie, le cinéma. Une vie menée avec engagement et détermination.

Les parents de Félicien, comme pratiquement toutes les familles au Grand-Bornand à cette époque, étaie nt agriculteurs. « Ils faisaient du reblochon. C’était une petite exploitation avec, hiver comme été, beaucoup de travail. Les alpages étaient sur Villeneuve. L’été, on restait à La Giettaz. Avec les troupeaux, nous passions par le col de s Ar avis. C’était un sacré voyage pour les bêtes et pour les hommes. »

Henrike appuie sur le déclencheur. Amusé et taquin, Félicien lui demande si elle n’a pas oublié la pellicule ! « J’ai aimé la photographie. J’avais un Rolleiflex.
Mais il est où ? J’en sais rien. Je l’avais eu par un ami qui travaillait en Suisse. C’était de très bonne qualité. » Félicien nous montre ses belles et grandes images, ses amis alpinistes, le ski, les combes des Aravis. Toute une vie à poser sur la pellicule l’amour de son pays, de la neige et des paysages sublimes.

« En été, je travaillais avec mes parents, mais en hiv er, c’était le ski. Une vraie passion. »

En 1944, dès la Libération, Félicien et son ami Guy Salino ouvrent le premier téléski sur la pente des Dodes, « la seule favorable à l’époque ». Il fut baptisé le « fil-neige », ce qui deviendra plus tard un nom générique.
« Au départ, les gens ne voulaient pas qu’on construise la station. Aujourd’hui, on voudrait tout arrêter, ce serait la catastrophe. J’ai été le premier moniteur de ski diplômé du village, ce qui m’a permis d’ouvrir la première école de ski du Grand-Bornand. »

Une image, précieusement conservée, nous rappelle que ces pionniers étaient de jeunes et beaux gaillards. « On était cinq diplômés. J’avais le numéro 341 ! »
En été, Félicien aide ses parents mais fait aussi beaucoup de vélo. « J’ai fait deux fois Paris-Roubaix et Bordeaux-Paris. Je ne sais pas si c’est le vélo ou le ski qui m’ont tenu en forme. »

Le vieil homme reste passionné par tout ce qui l’entoure. Au détour de la conversation, on apprend qu’il s’est occupé de diffuser des films dans la vallée. Un « Cinéma Paradiso » à la montagne ! « Je louais les films et je commençais le mercredi soir. Je terminais ma semaine le dimanche : Le Grand-Bornand, Thônes, La Clusaz, Les Villard-sur-Thônes.
J’allais jusqu’à Thorens-Glières. Les projections se faisaient dans des salles qu’on me louait. Le curé des Villard n’aimait pas ça. Il avait peur que je diffuse des idées de mécréant. » On pourrait passer des jours et des nuits avec Félicien. Sa gentillesse et son énergie, ses aventures racontées avec modestie, ses peines évoquées avec délicatesse, dessinent l’image d’une vie romanesque. « Je ne me suis jamais ennuyé.

Avoir cent ans, on y arrive comme ça, sans y penser. Incompréhensible !
Le plus important, c’est d’avoir toute sa tête. »

 

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Paul et Angèle, l’amour à tout épreuve

Des deux, le centenaire, c’est lui ! Mais comment les dissocier alors que la vie leur offre ce bonheur extraordinaire de vieillir ensemble ? Dans la salle à manger de leur joli chalet de Serraval, les deux fauteuils sont côte à côte, à l’image d’une vie partagée depuis 74 ans. « Nous étions voisins, nous sommes allés à la même école et nos parents respectifs étaient agriculteurs. Je ne suis donc pas allé chercher bien loin pour trouver ma femme. On se connaît depuis toujours. »

 

Paul et Angèle ou Angèle et Paul, ce sont les deux faces d’une même vie.
A 20 ans, Paul est parti au régiment. Puis en captivité, 5 ans en Allemagne. Pour Angèle, cette période, entre 21 et 30 ans, lui a fait perdre les plus belles années de sa vie.
« Pendant ce temps, au village on s’organisait. Je me souviens que nous n’avions pas le droit de danser pendant que les hommes étaient prisonniers. Il y en avait onze dans le village. Mais, avec mes amies, on allait danser dans la commune voisine. Un type jouait de l’accordéon. Cela nous a valu un P.V. pour avoir dansé ! Quand la guerre s’est terminée, nous nous sommes rattrapés. »

Paul rentre de captivité le 9 mai 1945. Angèle est devenue une femme. La vie reprend.

À la ferme mais aussi sur les parquets de danse. « Nous allions à vélo danser au Bouchet-Moncharvin. On s’est marié en octobre 1945 et on a eu trois enfants ; plus question d’aller au bal ! »
« On avait douze ou treize vaches et on portait le lait à la fruitière. En été, nous allions dans les alpages au-dessus du col du Marais. Je travaillais aussi comme menuisier. J’ai construit moi-même notre chalet. Nous avions des vergers et nous vendions nos pommes et nos jus de pommes. On montait à La Clusaz et au Grand-Bornand. »

Paul et Angèle racontent une vie de bonheurs simples, une vie de travail au contact de la nature. Et trois enfants à élever. Très vite Angèle souhaite qu’ils fassent des études. Aucun ne reprendra la ferme familiale au grand soulagement de leurs parents. « C’est devenu trop difficile. Certains parlent de nouveaux chemins pour l’agriculture. On l’espère pour les jeunes générations. »

Angèle et Paul sont heureux d’être toujours ensemble. Fragiles mais comblés de pouvoir continuer à échanger, s’intéresser aux autres et profiter de la nature qui les entoure. Avec La Tournette comme toile de fond et l’amour comme une bonne fortune qui ne les a jamais quittés.

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Marie-Antoinette, une femme libre

La terrasse de la maison de retraite Marin Lamellet, à 10 km de Megève, s’ouvre sur un panorama montagnard de carte postale avec une vue sur le clocher de Saint-Nicolas-la-Chapelle. Ce jour-là, à Flumet, la neige de février étincelle. Nous attendons Marie-Antoinette qui habite ici depuis deux ans. Le grand âge de cette femme, née en 1914 et qui a commencé à travailler à 16 ans, nous fascine. 2019 est l’année de ses 105 ans. Nous avons de la peine à imaginer une telle longévité.

Arrive une jolie vieille dame, habillée d’un gilet rose. Très élégante, droite derrière son déambulateur, elle nous frappe par sa grâce naturelle. Ninette, c’est son surnom, est née à Lyon. Elle était postière, avec une carrière commencée à Saint-Julien-en-Genevois. En 1939, elle arrive à la Poste de Megève pour un remplacement. Elle n’est plus jamais repartie, tombée sous le charme du village haut-savoyard. Autant dire qu’elle a suivi toute l’évolution de Megève depuis un observatoire de choix. « À l’époque, il était d’usage de s’envoyer des lettres. Ça a bien changé… Je les ai tous vus défiler : Bourvil, la femme de Jean Gabin, Sacha Distel, Brigitte Bardot et la Baronne de Rotschild, une femme très simple. » Elle vit aussi toute l’évolution du téléphone. « Pour téléphoner, les gens venaient à la Poste. J’ai débuté au standard. Je passais les communications de puis un tableau avec des fiches. »

Inutile de chercher une vie de paillettes dans ce village où les célébrités aiment toujours à se reposer. « J’ai eu une vie toute simple, sans excès. J’ai fait un peu de ski, je me suis acheté une voiture pour me promener et pendant les vacances, j’allais au bord de la mer. J’aimais bien nager, m’occuper de mes neveux et nièces. Je n’ai jamais eu l’habitude de me plaindre et j’ai pris ma retraite en 1975. »

Dans ses yeux bleus se reflète toute une vie tranquille, passée dans son village d’adoption qu’elle n’aurait quitté pour rie n au monde. « La bonne humeur, ça fait vivre. J’étais jolie mais sans doute trop difficile. Le Baron, c’est moi qu’il aurait dû épouser. Mais comme ça ne s’est pas passé ainsi, je n’en ai pas voulu d’autres », dit-elle avec malice… Aujourd’hui, elle lit son journal tous les matins, écoute de la musique, pédale sur son fauteuil qu’elle a fait équiper d’un système spécial et fait une petite balade quotidienne, histoire de rester en forme.

Ninette est une femme libre qui tord le cou à l’idée qui voudrait que les gens heureux n’aient pas d’histoire. La sienne est tout simplement solaire, à son image.

Textes et interviews par Catherine Claude

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